35.
Vétéran 3, lui, ne voyageait pas en avion et ne menait pas franchement la grande vie. Nick Tricosas n’arborait pas un costume Brooks Brothers à quatre cents dollars. Il ne possédait pas non plus un portefeuille Dunhill bourré de cartes de crédit. Vétéran 3 portait un T-shirt du corps des marines aux manches coupées, un pantalon de treillis kaki délavé et un bandana sur la tête. Il se trouvait dans le quartier du West Village de New York.
Tricosas promena son regard autour de lui, dans le standard exigu des taxis et coursiers Vétérans, et se sentit pris à la gorge par une impression subite de claustrophobie. Les seuls ornements de ce placard à balai isolé au deuxième étage du dépôt des taxis Vétérans étaient une table de jeu en métal gris et une chaise pliante assortie, l’émetteur-récepteur et une affiche du film Rambo scotchée sur un mur.
— Contact. Ici Vétéran 3, fit Tricosas dans l’émetteur. Bien, vous tous valeureux vétérans de guerres étrangères. Vous à qui on a décerné des Purple Heart[18] et des Médailles d’Honneur… Qui peut passer prendre une passagère à l’angle de Park Avenue et de la 39e ?… Une certaine Mme Austin et son infirmière, Nazreen… Mme Austin est une petite dame adorable avec une chaise roulante pliante, qui rentre pile-poil dans le coffre d’un taxi. Elle se rend au Lenox Hill Hospital pour sa séance hebdomadaire de chimiothérapie. À vous !
— Ici Vétéran 22. Je suis sur Madison, au niveau de la 52e. Je passe prendre Mme Austin. Je connais, la petite mémé. J’y serai dans environ cinq minutes. À vous.
— Merci infiniment, Vétéran 22… OK, au suivant. J’ai un compte société au 25 Central Park West. Compte T-21. M. Sidney Solovey, qui va au Yale Club, au 50, Vanderbilt. M. Solovey travaillait pour Salomon Brothers. Avant que quelqu’un fasse péter Wall Street, naturellement. À vous.
— Ici Vétéran 19. Je suis sur Central Park South et la Sixième. J’emmène M. Solovey au Yale.
Nick Tricosas se leva. Il s’étira longuement et se frictionna le bas du dos. Il répartissait les courses par radio sans répit depuis cinq heures du matin et il avait grand besoin d’une pause.
Il alluma un cigare, qu’il fit doucement rouler entre son pouce et son index.
Puis il descendit tranquillement l’escalier en colimaçon à l’arrière des locaux des taxis Vétérans, laissant de lourds nuages de fumée dans son sillage. Il emprunta ensuite l’escalier qui menait au garage.
Le sol du sous-sol était jonché de poussière accumulée et de débris. Une cave new-yorkaise typique, infestée de rats. Il y avait un deuxième central téléphonique encadré de bancs pour les chauffeurs attendant leurs courses. Au fond à gauche, se trouvaient des machines à sodas et à confiseries rouillées et une porte grise en métal.
Tricosas plissa les yeux et se dirigea vers la porte. Il poussa un profond soupir. Le colonel Hudson avait décrété que personne ne devait en aucun cas pénétrer dans la cave fermée à clé.
Tricosas sortit toutefois une clé qu’il enfonça dans la solide serrure encastrée. Il la tourna et entendit le déclic du mécanisme d’ouverture. Il poussa la porte grinçante.
Il regarda alors à l’intérieur du saint des saints du colonel Hudson…
Nick Tricosas en eut le souffle littéralement coupé. Ses yeux d’un brun profond manquèrent lui sortir de la tête.
Nick Tricosas n’avait jamais vu autant d’argent de toute sa vie ! Ce qu’il avait là, sous les yeux, ce qu’il fixait d’un air parfaitement niais, ne semblait tout simplement pas croyable.
Des milliards de dollars.